Rencontre avec Thomas Huriez, entrepreneur passionné qui a révolutionné l’industrie de la mode avec sa marque 1083. En misant sur le made in France, il a redéfini les normes de l’éthique et de la qualité dans la fabrication de jeans. De la relocalisation de la production à la préservation des principes écologiques, Thomas Huriez nous dévoile comment il a transformé une idée audacieuse en une success story. À vélo, il a parcouru les 1083 kilomètres qui symbolisent la distance maximale entre Menton et Porspoder, incarnant ainsi son engagement pour une mode responsable. Découvrez l’histoire inspirante d’un informaticien devenu pionnier de la mode éthique, plaçant l’humain et l’environnement au cœur de son entreprise.
La genèse de la société 1083.fr
Aurélien Guichard : Pour commencer, j’aimerais connaître l’histoire et la genèse de l’entreprise ? Comment et pourquoi as-tu créé 1083 ?
Thomas Huriez : À l’origine, ma trajectoire professionnelle était ancrée dans l’informatique, une quête qui, au fil du temps, m’a conduit à chercher un sens plus profond dans mes journées de travail. L’aspiration à créer quelque chose qui puisse me motiver chaque matin m’a conduit à transformer une maison de famille à Grenoble en une boutique de vêtements éthiques. Ce fut un véritable éveil de passion, réalisant à quel point la mode jouait un rôle crucial dans la représentation de notre identité. Elle devient la première image que nous offrons au monde, une identité façonnée par nos choix vestimentaires.
La réalisation de l’impact monumental de l’industrie de la mode, générant des milliards d’euros à l’échelle mondiale, a renforcé ma conviction quant à l’importance de redéfinir notre approche de ce domaine. Après plusieurs années de commerce, j’ai observé avec joie une prise de conscience croissante de l’écologie parmi les individus.
Pour moi, être écologiste signifie assumer une responsabilité personnelle, un engagement illustré par la métaphore simple du jardinier qui ne pulvérise pas de pesticides sur ses propres tomates. Cette révélation m’a amené à concevoir un projet novateur, baptisé 1083, visant à rapprocher la mode éthique du quotidien de chacun. Le jean, par exemple, incarne cet idéal d’unité, agissant comme un média puissant. J’ai toujours pensé que l’histoire derrière chaque jean enrichit son pouvoir d’impact. C’est un peu comme choisir un vin : vous pouvez opter pour une bouteille chez Leclerc avec un prix et un goût standard, ou vous plonger dans l’expérience sensorielle d’une bouteille provenant d’un vigneron dont vous connaissez l’histoire.
La dimension narrative ajoutée rend cette expérience non seulement égale en termes de coût et de goût, mais aussi infiniment plus riche. Ainsi, cette philosophie m’a inspiré à créer une marque de jeans made in France, lancée en 2013 via une campagne de financement participatif.
Mon objectif initial de vendre 100 jeans, bien que considéré ambitieux pour le contexte d’un petit commerce, a été surpassé lorsque 1000 jeans ont trouvé leurs propriétaires.
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Comment les gens sont-ils informés du lancement de ce projet ?
Thomas Huriez : Grâce au financement participatif, la famille, les amis, la communauté et le bouche-à-oreille ont joué un rôle essentiel. La campagne de financement a été un succès, et le site internet a ouvert à la fin de celle-ci. A l’époque nous étions deux et faisions 200 000 euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, avec 105 employés, 12 millions de chiffre d’affaires, et une filière de 250 emplois en France, nous avons dépassé notre objectif initial de vendre 100 jeans, en multipliant par 500 notre objectif sur 10 ans en vendant 50 000 jeans.
Une fabrication locale
Comment ont été conçus vos premiers jeans ?
Thomas Huriez : Nous avons collaboré avec un atelier à Marseille pour la confection, et un tisseur de la Loire a fait confiance à notre projet en nous fournissant le tissu. Le nom 1083 représente la distance entre les villes les plus éloignées de l’hexagone, Menton à Porspoder, symbolisant notre engagement pour le made in France. La proximité c’était le sens de 1083, c’est le plus gros facteur d’engagement que l’on puisse trouver, elle s’exprime en distance, en circuit court avec peu d’intermédiaire. Il y a aussi le temps, quand la conséquence est immédiate.
Vous avez diversifié vos chaussures, les derniers jeans étant 100 % français. Comment fonctionnez-vous dans ce domaine ?
Thomas Huriez : Notre démarche reste la même. Nous privilégions le local autant que possible. Notre dernier jean est 100% français. Notre production est localisée en France mais notre matière première, notamment le coton, vient de Tanzanie car c’est un pays qui est naturellement bien irrigué en eau. C’est un coton bio pluvial. Nous cherchons à réduire notre empreinte carbone et à être transparents sur la provenance de nos matières premières.
Quel est l’impact Carbone de 1083.fr
Comment calculez-vous votre empreinte carbone ?
Thomas Huriez : Nous avons fait appel à un bureau d’études, La Belle Empreinte, qui a pris en compte divers facteurs tels que l’agriculture, l’énergie, etc. Sur un jean conventionnel, l’empreinte est d’environ 32kg de carbone, l’objectif à échelle européenne est de réduire les émissions de 50%. Avec notre approche, nous sommes descendus à seulement 6kg pour un jean 100% français.
Cette démarche me fait penser à l’économie bleue…
Thomas Huriez : Notre vision sous-jacente consiste à édifier une filière durable, un concept novateur dans le monde de la mode, où bon nombre d’entreprises externalisent l’ensemble de leurs processus, dépourvues d’usines. Nous avons décidé de naviguer entre ces deux extrêmes. La tendance traditionnelle, où les usines produisaient sous leur propre bannière ou externalisaient tout, ne satisfaisait pas notre quête d’un équilibre plus harmonieux.Notre modèle, baptisé la “perma-industrie,” s’inspire des subtilités bien orchestrées de la nature, la plus grande ingénierie du monde. À l’image d’une biodiversité indispensable pour la survie d’un écosystème, nous avons entrepris d’intégrer progressivement toutes les facettes de notre métier. Nous sommes capables de tout faire, mais plutôt que de tout centraliser en interne, nous préférons partager cette richesse de compétences. Cette démarche évoque le fonctionnement organique de la nature, où la coopération entre différentes espèces favorise l’équilibre et la pérennité.
Est-il parfois difficile d’opter pour le Made In France étant donné son coût supérieur ?
Thomas Huriez : Selon moi, le Made In France c’est davantage qu’une simple conviction, c’est une croyance profonde. On peut le constater dans nos supermarchés, en parcourant le rayon du fromage râpé, où tous les produits sont fièrement estampillés “Made in France”. Cette diversité de gammes rappelle la variété que nous observons également dans d’autres secteurs, comme celui des téléphones.
Dans notre cas, nous avons fait le choix de développer des filiales avec des niveaux de prix distincts, tout en préservant la qualité du “Made in France”. Dans l’industrie de la mode, notre orientation s’est portée vers des produits de luxe. Bien que nous ayons les compétences et les moyens de produire des articles d’entrée de gamme en France, cette voie est moins prisée par les investisseurs. Ainsi, ce n’est pas tant la nature du produit qui importe que la manière dont il est façonné. La compétitivité de 1083 repose sur notre approche de la distribution, mettant en avant notre circuit court, même si cela implique des coûts de fabrication plus élevés.
Vous souhaitez faire un point sur votre situation ?
Greenwashing contrainte ou opportunité ?
Êtes-vous sujet au greenwashing et comment cela se présente?
Thomas Huriez : Vive le greenwashing, car il y a 16 ans, au lancement de mon magasin, mes idées étaient perçues comme marginales. Au fil du temps, cela a créé une dynamique. Pour moi, le greenwashing est l’expression d’une intention de changement. Cela signifie que la pensée évolue sur des aspects que j’ai déjà intégrés. Cela confirme ma conviction et prépare mes clients. Il est plus facile pour 1083 de promouvoir le local et le bio lorsque plusieurs entreprises partagent cette idée, plutôt qu’une seule. Le greenwashing, bien qu’injuste parfois, conduit également à une régulation.
Chez Agora Finance, nous partageons cette vision. Actuellement, les entreprises affirment vouloir réduire leur empreinte carbone, et même si elles n’y parviennent qu’à moitié, elles sont engagées. Cependant, cela peut créer des problèmes si elles ne tiennent pas leurs engagements.
Thomas Huriez : Elles s’engagent malgré elles, ce qui les freine. C’est pourquoi je ne crains pas la concurrence, car elles subissent plus qu’elles n’avancent. Cependant, cela a également des inconvénients, car les messages entre concurrents deviennent homogènes. Le storytelling commun est puissant, mais ne permet plus de se démarquer. Nous avons donc adopté le “story sharing”, partageant notre histoire pour permettre aux gens de la vivre plutôt que de simplement la lire. Grâce à nos usines, nous sommes capables de susciter davantage d’émotions.
Vos usines sont-elles présentées en vidéo sur votre site?
Thomas Huriez : Oui, comme tout le monde. Nous aspirons à régionaliser la production, car l’usine est un lieu émotionnel. C’est pourquoi nous voulons nous rapprocher des gens. C’est similaire à une boulangerie où vous voyez les boulangers pétrir le pain, créant une image de qualité. Mon objectif est de construire un réseau d’usines proches des gens, malgré l’engagement précoce par rapport à d’autres entreprises.
L’organisation de 1083.fr
Comment êtes-vous organisés au niveau de la société?
Thomas Huriez : Nous avons une maison mère et des filiales, dont une pour la confection des jeans et une autre dédiée au tissage en France. Oui, je suis actionnaire majoritaire avec 53% des parts, mon frère avec 17%, et le reste appartient à des fonds à impact comme Inco et Crédit Agricole.
Quel est l’objectif des fonds à impact?
Thomas Huriez : Ils sont intervenus il y a 5 ans pour le développement. Certains devront partir, mais l’idée est de s’inscrire à long terme. J’ai choisi des fonds à impact, car plus notre entreprise génère de la trésorerie, plus les parts prennent de la valeur. L’objectif est de reprendre mes parts. Les relations avec ces fonds sont différentes, ils sont gestionnaires et non parieurs, ce qui crée des liens plus riches.
Pour toi, l’importance réside dans la relocalisation?
Thomas Huriez : Exactement, je crois en cela. Pour l’avenir, je cherche des investisseurs qui ne soient pas seulement des investisseurs. Des industriels et des marques de bottes qui souhaitent participer à une aventure en France avec des acteurs comme nous.
Ce serait une ouverture de capital à des petits ou gros investisseurs?
Thomas Huriez : Pas seulement à des financiers. Je vis les limites d’avoir un seul type de lien avec eux. Dans mon livre, je ne parle pas de l’importance d’avoir différents liens, mais j’ai appris à quel point cela était crucial. Les divergences peuvent exister, et certains sujets qui sont importants pour eux ne le sont pas forcément pour moi. Cela rend les relations plus riches et moins concentrées sur la finance.
1083 a connu une croissance significative. Comment envisagez-vous l’avenir, surtout avec la crise en Ukraine et l’augmentation des coûts ?
Thomas Huriez : La crise en Ukraine a entraîné une hausse des prix de l’énergie et des matières premières, impactant nos marges. Nous ne sommes pas sûrs d’être à l’équilibre cette année, mais nous gérons au mieux les hauts et les bas. Nous sommes également ouverts à des investissements, mais je recherche des partenaires qui partagent notre vision et ne se limitent pas à des aspects financiers.
La gestion de patrimoine de Thomas Huriez
Sur un plan plus personnel, comment gérez-vous vos finances et investissements ?
Thomas Huriez : L’argent n’est pas ma principale motivation. Ce que j’aime c’est créer, développer des projets en équipe et si l’argent est important je vais créer de manière défensive et je ne vais pas créer avec la même liberté et audace si j’ai peur d’en perdre. J’ai acheté ma maison il y a 20 ans, que je rénove progressivement. J’ai vendu un appartement avec une plus-value que j’ai utilisé pour financer des travaux. Je préfère qu’on rémunère l’équipe le mieux possible.
On ne verse pas de dividendes donc tout l’argent qu’on crée dans l’entreprise reste dans l’entreprise et au fur et à mesure qu’on grandit, on se rémunère tous plus les uns les autres. Je n’investis pas beaucoup en dehors de mon entreprise, mais je considère que l’argent doit servir à créer et développer des projets, plutôt qu’à constituer une épargne personnelle importante.
Merci pour le partage de votre histoire et de votre vision, Thomas. Une dernière question, pourquoi portez-vous toujours un pull rouge ?
Thomas Huriez : C’est devenu ma tenue d’entrepreneur. Le rouge représente la passion, l’énergie, et même un peu de danger, des éléments essentiels dans l’entrepreneuriat.