Le régime mère-fille est un mécanisme fiscal essentiel pour les groupes de sociétés soumis à l’impôt sur les sociétés. Il permet à une société mère de bénéficier d’une quasi-exonération des dividendes perçus de ses filiales, sous réserve du respect de certaines conditions strictes. Ce dispositif permet d’éviter la double imposition des bénéfices distribués et s’applique aussi bien aux groupes industriels qu’aux holdings patrimoniales.
Comprendre les conditions du régime mère-fille, ses avantages fiscaux et ses interactions avec la structuration en holding est indispensable pour toute stratégie de gestion de groupe ou de patrimoine.
Le fonctionnement du régime mère-fille
Le régime mère-fille est applicable aux sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés (IS), qu’il s’agisse d’entités opérationnelles ou de sociétés holdings, qu’elles soient animatrices ou purement passives.
Une exonération conditionnelle
Concrètement, lorsqu’une société mère détient une participation d’au moins 5 % dans une filiale, et s’engage à conserver cette participation pendant au moins deux ans, elle peut bénéficier d’un régime d’exonération à hauteur de 95 % sur les dividendes perçus de cette dernière. Le traitement fiscal est alors le suivant : seule une quote-part forfaitaire de 5 % du montant brut des dividendes est réintégrée dans le résultat fiscal de la société mère au titre des frais et charges réputés inhérents à la gestion de la participation.
Cette réintégration n’est pas conditionnée à l’existence de frais réels : elle s’applique de manière systématique et forfaitaire, ce qui induit une imposition résiduelle au taux normal de l’IS (25 % en 2025) sur 5 % des dividendes. En d’autres termes, la taxation effective des dividendes perçus dans le cadre du régime mère-fille est de 1,25 % du montant brut distribué, contre 25 % en l’absence du régime.
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Exemple d’application du régime mère-fille
Sans application du régime mère-fille
Prenons le cas d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) qui perçoit 1 000 000 € de dividendes de la part d’une filiale. En l’absence du régime mère-fille, l’intégralité de cette somme est imposable.
La fiscalité applicable se décompose ainsi :
42 500 € × 15 % = 6 375 €
957 500 € × 25 % = 239 375 €
L’impôt total dû s’élève donc à : 6 375 € + 239 375 € = 245 750 €
Ainsi, les dividendes perçus sont imposés à hauteur de 24,57 %.
Avec le régime mère-fille
Une société soumise à l’impôt sur les sociétés perçoit 1 000 000 € de dividendes d’une filiale dans laquelle elle détient au moins 5 % du capital depuis moins de deux ans, mais s’est engagée à conserver cette participation pendant au moins deux ans. Toutes les conditions du régime mère-fille sont remplies.
Dans ce cadre, 95 % des dividendes sont exonérés d’impôt. Seule une quote-part de 5 %, soit 50 000 €, est réintégrée au résultat imposable au titre des frais et charges forfaitaires. Cette base imposable bénéficie d’abord du taux réduit d’IS à 15 % dans la limite de 42 500 €, puis du taux normal à 25 % au-delà :
42 500 € × 15 % = 6 375 €
7 500 € × 25 % = 1 875 €
L’impôt total dû s’élève donc à : 6 375 € + 1 875 € = 8 250 €
L’imposition effective sur les 1 000 000 € de dividendes perçus est donc de seulement 0,825 %, contre 24,575 % sans le régime mère-fille.
Le gain fiscal réalisé grâce à ce dispositif s’élève ainsi à 245 750 € – 8 250 € = 237 500 €.
Un tel différentiel justifie pleinement l’intérêt stratégique du régime mère-fille, notamment dans les groupes à forte remontée de cash-flows ou les schémas de capitalisation via une holding.
Le régime mère-fille est un pilier des stratégies de structuration de groupe, car il permet à la holding de consolider la trésorerie du groupe sans frottement fiscal significatif, facilitant ainsi le réinvestissement interne, le remboursement de dettes d’acquisition (notamment en LBO) ou encore la mise en réserve de liquidités en vue d’une transmission.
Dans un cadre patrimonial, notamment familial, la création d’une holding interposée entre les associés et les filiales permet de centraliser les revenus de dividendes, tout en les réaffectant librement à des projets de développement, d’acquisition ou à une logique de démembrement ou de transmission (ex : apport-cession, pacte Dutreil via holding animatrice).
Par ailleurs, contrairement au régime d’intégration fiscale – plus rigide et plus formel – le régime mère-fille offre une grande souplesse juridique. Il s’applique sans nécessité d’option, ni de convention spécifique, dès lors que les conditions d’éligibilité sont réunies. Il est donc particulièrement adapté aux groupes non consolidés, aux holdings patrimoniales ou aux structures en phase de constitution.
Quelles sont les conditions pour bénéficier du régime mère-fille ?
L’application du régime mère-fille, défini par les articles 145 et 216 du CGI, repose sur un ensemble de conditions cumulatives. Celles-ci doivent être rigoureusement respectées pour que la société mère puisse neutraliser l’imposition des dividendes perçus de ses filiales. Elles concernent à la fois la nature et le régime fiscal des sociétés concernées, le seuil et la durée de détention, ainsi que la qualité de la participation.
Conditions relatives à la société mère
Imposition à l’IS en France
La société mère doit être soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) dans les conditions de droit commun, soit de plein droit, soit sur option. Peu importe qu’il s’agisse d’une entité opérationnelle ou d’une holding pure, dès lors qu’elle relève du régime de l’IS sans exonération particulière.
Sont donc éligibles :
- Les SA, SAS, SARL imposées à l’IS,
- Les sociétés civiles ayant opté pour l’IS,
- Les sociétés étrangères fiscalement assimilées à des entités soumises à l’IS, lorsqu’elles ont une installation stable en France.
En revanche, sont exclues :
- Les sociétés relevant de l’IR, de plein droit ou sur option (ex : SCI à l’IR, SNC, EURL relevant de l’IR),
- Les organismes exonérés d’IS (ex : associations, certaines fondations).
Détention d’au moins 5 % du capital de la filiale
La société mère doit détenir une participation d’au moins 5 % du capital social de la filiale distributrice. Ce seuil s’apprécie en nue-propriété ou en pleine propriété, mais exclut les simples droits financiers ou droits de vote non accompagnés d’une détention capitalistique.
La détention peut être :
- Directe (la mère détient les titres de la filiale),
- Indirecte (par l’intermédiaire d’une autre société, sous réserve de chaîne ininterrompue),
- Ou en démembrement, si la société mère détient la nue-propriété ou l’usufruit, à condition qu’elle en perçoive effectivement les dividendes.
Le seuil des 5 % doit être constant à compter de la date d’éligibilité et sur toute la durée d’engagement.
Engagement de conservation de deux ans
La société mère doit s’engager à conserver la participation d’au moins 5 % pendant une durée minimale de deux ans. Il n’est pas requis que ce délai soit déjà écoulé lors de la perception des dividendes : un engagement formel suffit.
En pratique :
- L’engagement est généralement matérialisé dans les états de détermination du résultat fiscal (bénéfice imposable).
- En cas de cession partielle ou de rupture de l’engagement avant terme, l’administration peut remettre en cause l’exonération antérieurement obtenue, avec intérêts de retard à la clé.
À noter : certaines tolérances ont été admises par la doctrine administrative en cas de réorganisation justifiée par des motifs économiques légitimes, mais ces exceptions doivent être maniées avec prudence.
Conditions relatives à la société filiale
Assujettissement à un impôt équivalent à l’IS
La filiale distributrice doit être :
- Soumise à l’impôt sur les sociétés en France, ou
- À un impôt équivalent dans un autre État membre de l’UE ou un État tiers, sous réserve d’une convention fiscale bilatérale garantissant un niveau d’imposition comparable.
Les participations dans des entités transparentes fiscalement (par exemple, une SCI à l’IR ou une société de personnes étrangère non assimilée à une entité imposée à l’IS) ne sont pas éligibles.
Territorialité fiscale : exclusion des États ou territoires non coopératifs (ETNC)
Les dividendes versés par une filiale établie dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) au sens de l’article 238-0 A du CGI sont, en principe, exclus du bénéfice du régime mère-fille.
Cependant, une exception demeure possible si :
- Le contribuable démontre que les opérations ne sont ni fictives, ni réalisées dans un but principalement fiscal,
- Et que la filiale dispose d’une substance économique réelle.
Dans les faits, cette preuve reste difficile à établir, et il est donc fortement déconseillé de structurer une remontée de dividendes depuis une entité située dans une juridiction non coopérative, même si celle-ci est soumise à un impôt équivalent.
Focus : le cas des holdings et l’application du régime mère-fille
Le régime mère-fille s’applique sans discrimination entre sociétés opérationnelles et holdings, à condition que les critères fiscaux et capitalistiques soient respectés.
Holding passive vs holding animatrice
- Une holding passive, simple détentrice de titres, peut tout à fait bénéficier du régime mère-fille.
- Une holding animatrice, en revanche, bénéficie en sus de régimes fiscaux spécifiques (exonération partielle d’IFI, pacte Dutreil, etc.), mais cette qualité n’est pas exigée pour bénéficier du régime mère-fille.
Cela étant, dans les montages complexes (LBO, transmission, apport-cession), le cumul des dispositifs (régime mère-fille, report d’imposition, régime Dutreil, etc.) suppose une cohérence d’ensemble de la structure, validée par une documentation fiscale solide et conforme à l’économie réelle.
Attention à la substance économique de la holding
Même si aucune exigence d’activité économique n’est formellement requise pour l’application du régime mère-fille, l’administration fiscale peut remettre en cause l’éligibilité d’une holding dépourvue de substance (absence de moyens propres, de gestion effective ou de justification économique).
Il est donc recommandé que la société mère :
- Dispose d’un compte bancaire distinct,
- Tienne une comptabilité autonome,
- Prise de véritables décisions de gestion sur ses participations.
Quels sont les avantages fiscaux du régime mère-fille ?
Le régime mère-fille constitue un instrument central d’optimisation fiscale dans les structures de groupe, les stratégies patrimoniales via holding et les opérations de capitalisation intragroupe. Sa principale vertu repose sur une quasi-exonération des dividendes perçus entre sociétés liées, permettant une remontée de trésorerie efficace, à moindre coût fiscal.
Une exonération partielle significative
Le régime mère-fille permet d’exonérer 95 % des dividendes perçus d’une filiale par sa société mère. Cette exonération vise à éviter la double imposition des résultats au sein d’un même groupe, les bénéfices ayant déjà supporté l’IS au niveau de la société distributrice.
Seule une quote-part forfaitaire de 5 % du montant brut des dividendes reçus est réintégrée dans le résultat fiscal de la société mère. Cette quote-part est réputée correspondre aux frais et charges afférents à la détention de la participation (frais de gestion, honoraires juridiques, coûts de contrôle…).
Ainsi, pour une société soumise à l’IS au taux normal (actuellement 25 %), l’imposition effective des dividendes perçus dans le cadre du régime mère-fille est de 1,25 % (soit 5 % × 25 %). Cela représente une économie fiscale très significative par rapport à l’imposition de droit commun, qui serait de 25 % sur la totalité des dividendes perçus.
Ce mécanisme s’applique indépendamment du niveau de distribution ou de la fréquence des dividendes, offrant une souplesse bien plus grande que celle du régime d’intégration fiscale, qui suppose une centralisation comptable et fiscale plus rigide.
Remarque : dans certains cas, les sociétés peuvent opter pour une quote-part réelle, mais cette option suppose de pouvoir justifier précisément les frais effectivement supportés, ce qui est rarement plus avantageux que la quote-part forfaitaire de 5 %.
Un outil de structuration patrimoniale et financière
Le régime mère-fille est particulièrement prisé dans les architectures patrimoniales complexes, notamment lorsqu’il est combiné à une holding de contrôle, animatrice ou passive. Il permet de :
Financer une opération de LBO
Dans un montage d’acquisition à effet de levier, la holding acquéreuse contracte un emprunt pour racheter une cible opérationnelle. Grâce au régime mère-fille, les dividendes de la cible peuvent remonter à la holding quasi défiscalisés, permettant d’amortir la dette d’acquisition sans double imposition.
Réinvestir les excédents de trésorerie
Les dividendes exonérés peuvent ensuite être :
- Réinjectés dans d’autres filiales (croissance externe),
- Affectés à la création de nouvelles structures,
- Ou utilisés pour financer des investissements long terme, tout en maintenant une centralisation des capitaux au niveau de la société mère.
Optimiser une transmission patrimoniale par holding familiale
Dans une logique de transmission, le régime mère-fille s’articule efficacement avec le pacte Dutreil, permettant une conservation du contrôle familial tout en bénéficiant d’un allègement des droits de mutation et d’une capitalisation fiscale efficiente des dividendes dans la holding patrimoniale.
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Limites, risques et précautions du régime mère-fille
Si le régime mère-fille représente un levier fiscal d’optimisation des flux de dividendes intragroupe, son efficacité repose sur le respect strict des conditions légales et fiscales. En cas d’approximation ou de mauvaise structuration, l’administration fiscale peut remettre en cause l’exonération, avec des conséquences financières et juridiques potentiellement lourdes.
La quote-part pour frais et charges : une réintégration obligatoire et non négligeable
L’exonération accordée dans le cadre du régime mère-fille n’est jamais totale. Par principe, une quote-part forfaitaire de 5 % des dividendes perçus est systématiquement réintégrée au résultat fiscal de la société mère, quelle que soit la réalité des frais engagés.
Cette quote-part, prévue à l’article 216 du CGI, s’applique même en l’absence de charges déductibles identifiées. Si elle peut paraître symbolique dans le cas de dividendes substantiels, elle peut limiter l’intérêt du dispositif lorsque :
- les montants distribués sont faibles,
- la société mère est en situation déficitaire,
- ou encore si elle souhaite capitaliser sans imposition.
Dans de tels cas, la pertinence du recours au régime mère-fille mérite une évaluation au regard d’autres dispositifs (intégration fiscale, consolidation, report de déficit, etc.).
Un engagement de deux ans
L’une des conditions majeures du régime tient à la détention continue d’au moins 5 % du capital de la filiale par la société mère, accompagnée d’un engagement de conservation sur une durée minimale de deux ans.
Une cession anticipée de la participation – même partielle – remet en cause rétroactivement le bénéfice de l’exonération sur les dividendes perçus, exposant la société mère à un rappel d’IS, des intérêts de retard et potentiellement des pénalités.
Cette exigence impose :
- une planification rigoureuse des opérations de restructuration,
- une vigilance accrue en cas de réorganisation capitalistique (fusions, apports, cessions intragroupe),
- et une traçabilité documentaire des engagements pris et de leur exécution.
Clause anti-abus et requalification
Le régime mère-fille ne saurait être mobilisé dans un but exclusivement fiscal. L’article 119 ter du CGI permet à l’administration d’écarter l’application du régime lorsqu’il est démontré que la structuration n’a pas de substance économique réelle.
Sont ainsi dans le viseur de la doctrine administrative et de la jurisprudence :
- les sociétés interposées sans activité effective,
- les holdings fictives créées dans des juridictions à fiscalité favorable,
- les chaînes de détention sans logique industrielle ou patrimoniale.
En pareil cas, la clause anti-abus permet une requalification, avec exclusion du régime mère-fille et reconstitution de l’assiette imposable sur l’intégralité des dividendes. La preuve de la substance économique (personnel, locaux, pouvoir décisionnel, etc.) est donc déterminante.
Complexité des participations croisées ou indirectes
Dans les groupes à l’architecture capitalistique complexe, les participations indirectes ou croisées posent des difficultés d’interprétation. Pour bénéficier du régime mère-fille, il est impératif de démontrer que :
- la condition de seuil (5 %) est atteinte au travers des sociétés interposées,
- chaque société intervenante est soumise à l’IS ou un impôt équivalent,
- et qu’aucune société de la chaîne n’est située dans un État ou territoire non coopératif, sauf justification.
Une analyse fine des flux de détention et une cartographie juridique précise sont donc nécessaires pour sécuriser l’application du régime. La vigilance est accrue en cas de holdings étrangères, de restructurations transfrontalières ou d’évolution rapide du périmètre d’activité.
Risques de confusion
Le régime mère-fille est parfois mal interprété ou confondu avec d’autres régimes fiscaux proches. Il est donc essentiel de bien distinguer :
- Le régime des sociétés mères européennes (directive 2011/96/UE), applicable aux flux transfrontaliers de dividendes au sein de l’UE, mais qui suppose des conditions spécifiques (participation minimale de 10 %, absence de retenue à la source, etc.).
- Le régime d’intégration fiscale, qui permet une neutralisation des résultats entre sociétés d’un même groupe, mais impose une option formelle, une détention à 95 % et une centralisation du résultat fiscal.
- Le régime des plus-values à long terme sur titres de participation, qui concerne non pas les dividendes, mais les gains de cession, avec une exonération de 88 % sous conditions.
Chacun de ces régimes poursuit une logique distincte. Une erreur d’appréciation peut conduire à une mauvaise application du dispositif, à un redressement ou à la perte d’un avantage fiscal anticipé.